Histoire
L'eau ruisselait et s'écoulait tout doucement. Rien ne pouvait venir la déranger dans son éternel cycle. Elle s'écoulait, puis, s'évaporait pour devenir intangible. Aussi intouchable que l'esprit et aussi indomptable que la raison elle-même. Quelques roches et plantes faisaient l'objet d'une végétation peu commune au milieu d'un grand désert de sable. La pleine lune observait son reflet dans l'oasis. La source faisait office de sablier, peu à peu s'écoulant comme le temps. L'un des deux se faisait lourd et froid. Comme s'il n'avait guère envie de passer, qu'il avait peur qu'il ne sombre dans l'oubli.
Le vent se leva, faisant vibrer une tonne de sable au rythme incertain de l'eau qui coulait encore et toujours. Une pluie de grains se mit à tomber. Puis, ceux-ci et l'eau finirent par interchanger leur place, comme cela devait être naturellement. Le sable retrouva le sol et on eut le droit à une des rares et minces averses de l'année.
Mais l'important n'était pas la place normale qu'avaient les choses. Ce qui était primordial dans tout ça était qu'à un moment, le sable et l'eau avait été à un degré d'égalité. Devant la même gravité, ayant le même équilibre, devant les mêmes choix et la même chance. Ils avaient partagé une partie de leur existence et de leur destinée.
La main de fer, la main cachée, la plus forte de l'homme, celle de la justice, savait autant retenir l'eau que le sable. La personne qui se voulait juste devait savoir retenir les deux, les unir pour en obtenir un tout nouveau mélange tangible. C'était la science, la science de l'égalité.
«Le monde nous détruit tous, et ensuite, beaucoup sont plus forts là où sont leurs fractures» - Ernest HemingwaySannaeth 3480
Ville de Khemdara
Le travailleur qu'était Alek Maurengir courait partout à la recherche d'un mage ou d'un guérisseur aux tarifs modiques. Son salaire ne lui permettait pas plus et la vie de deux personnes chères à ses yeux était en péril. Disons que ces derniers temps, la situation n'avait pas été facile pour personne. Encore moins pour un pauvre employé travaillant très fort pour arriver à peine à faire vivre sa femme et lui-même. Ceux-ci savaient qu'ils n'avaient pas les moyens d'accueillir un autre membre dans la famille, mais n'avaient pas pu faire autrement. La vie en avait décidé ainsi. En effet, ils n'avaient pu résister à la chaleur de l'autre et au peu de réconfort que leur procuraient les désirs de la chair. Ils s'aimaient... oh que oui, ils s'aimaient, mais la vie ne les aimait pas.
Alek était atteint d'une pathologie assez rare, heureusement non héréditaire, mais à tout le moins génétique. Les traitements faramineux ne pouvaient pas lui être administrés. Le peu de qualité de vie qu'ils avaient en dépendait.
L'homme était heureux, fier de ce qu'il avait accompli même si c'était une erreur. C'était la plus belle erreur de sa vie. Leur petite maison accueillerait un autre être. Il avait pu construire un petit berceau en dehors de ses heures de travail en cachant quelques outils et du matériel appartenant à l'établissement de fabrication où il travaillait.
Au bout d'un moment, Alek se résigna à aller cogner à la porte d'un vieil homme qu'on disait sénile depuis des années. Les autres n'avaient pas répondu à l'appel et il avait tout de même réussit à faire naître la petite soeur de sa femme lors d'une nuit mouvementée.
L'ancêtre qui avait réussi cet exploit alors qu'il était déjà vieux s'exprima d'une onomatopée des plus étranges avant de suivre l'homme jusqu'à sa modique demeure.
Aux petites heures du matin, après une soirée et une nuit de dur labeur, fils comme femme en étaient sortis indemnes. Rien depuis longtemps n'avait été aussi beau à voir pour les deux parents.
Toutefois, la vie, elle n'avait rien vu de différent. L'injustice touchait les petits comme les grands.
Ravel serait l'aîné d'une famille de cinq enfants. Ai-je besoin de vous préciser qu'il n'eut pas une enfance très semblable à la majorité des petits garçons? Il n'avait pas le temps de jouer ou encore d'aller à l'école. Très tôt, pour faire vivre sa mère, son père et ses soeurs et frères cadets, il s'initia à la fourberie et au vol.
Les autres restaient là, à attendre que l'un de ces «Bien nantis» vienne lui prier de dégager du devant de son kiosque ou encore qu'il lui donne un peu d'argent. Même de l'attention pendant une dizaine de minutes aurait été appréciée par certains.
Cependant, Ravel n'était pas là pour faire la bête de foire, il était là pour nourrir ses semblables et ramener le pain sur la table. Personne ne s'attendait à ce qu'un enfant haut comme trois pommes et si peu démonstratif soit aussi coriace, mais ça, encore, c'était Ravel.
Parfois, il se faisait prendre la main dans le sac, mais de plus en plus souvent, il réussissait des coups avec de plus en plus d'ampleur. Les choses allaient de mieux en mieux. Le jeune garçon n'osait pas avouer à sa mère l'endroit où il se procurait tout l'argent qu'il lui rapportait. Il osait encore moins lui dire de quelle manière il l'avait obtenu. Lorsqu'il se faisait poser des questions, il répondait qu’il servait de messager à plusieurs personnes de la ville. L’important était de savoir que sa famille pouvait manger à sa faim et que sa mère pouvait même éduquer son frère et sa sœur en s'occupant de la petite de deux ans sans se demander si le salaire de son mari allait être suffisant. Ainsi, ce qu’il apportait complétait la paye de son père.
Ravel ne suivait aucun cours. Il apprenait les bonnes manières, soit, parce que sinon, il allait passer au rouleau compresseur, mais il ne suivait pas les minces enseignements que donnaient sa mère aux plus jeunes. Il n'en avait pas le temps et avait d'autres priorités.
Sa maman savait quelques notions qu'elle trouvait primordiales d'enseigner à ses enfants. Selon-elle, une société, même si elle était pauvre, pouvait toujours s'en sortir avec une base en matière d'éducation et de bonnes valeurs. Le peu qu'elle savait, elle voulait le transmettre à sa progéniture. Son mari n'avait pas eu la chance d'apprendre, elle si peu, alors, ses chéris pourraient avoir le meilleur de ce qu'ils avaient.
Cela causa quelques conflits entre le jeune garçon et sa mère malgré le jeune âge de celui-ci. Il se devait de «travailler», il veillerait à son éducation plus tard. Il savait que cela était important, mais il était aussi assez brillant pour savoir que manger l'était plus.
Bratiak 3488
Depuis que sa plus jeune soeur avait eu un an, tout se chamboulait. Son père perdait peu à peu ses facultés, puis sa lucidité. Sa mère n'était pas capable d'observer son homme se détériorer ainsi et préférait nier l'évidence. Cela obligea le garçon à réduire ses activités pour s'occuper de son père. Il savait que sa famille en souffrirait, mais ne pouvait pas faire autrement. Sa soeur qui était née un an après lui mendiait à sa place les jours où sa mère ne lui faisait pas pratiquer sa lecture.
Ravel s'aperçut bien vite que la situation de son père devenait de plus en plus terrifiante. Il dut donc faire appel à un homme que l'âge ne semblait plus atteindre. Le même qui l'avait mis au monde, lui, sa tante et ses soeurs et frères. On disait qu'anciennement, c'était un homme reconnu et prestigieux, mais il avait perdu tout cela en même temps que sa raison et sa jeunesse. Le garçon trouva toutefois chez son aîné une perspicacité et une fraternité qu'il ne lui connaissait pas. Il fut d'une grande aide. Très grande, autant pour son père que pour le moral de Ravel.
-Tu sais, petit, dit-il,
il y a de ces gens qui ont été bien toute leur vie jusqu'au jour où elle décida de tout leur prendre en échange de se laisser là... vagabondant. J'en suis un. Telle une mouche qui fait «bizz, bizz» devant une vallée de lions affamés, je survis, même sans me battre. C'est parce que la vie avait des désirs sadiques à assouvir.Il prit une longue pause le regard vide avant d'ajouter de sa voix aigrie :
-Petit, tu t'en sortiras, toi, parce que tu sais mieux modérer que moi, déjà à ton âge.Il savait que le vieux bonhomme se voulait réconfortant, mais à ce moment-là, lorsqu'il n'avait pas encore compris que tout le monde mourrait un jour, qu'on ne pouvait rien y faire et que c'était la règle même de la vie, Ravel n'avait rien à faire de: «pouvoir s'en sortir». Il sut un jour qu'il devait regarder vers l'avant et ne pas sombrer dans le passé, car sinon, il y a de cela longtemps qu'il aurait été anéanti.
À peine quelques jours à la suite de cette courte conversation, Alek Maurengir rendit l'âme sous les maigres larmes de son fils. Celui-ci revint dans la cuisine avec un air sombre. Aucun mot ne fut échangé. Même le bébé s'était tut. On ne pouvait entendre que la mère retenir ses sanglots alors qu'elle se présentait pour la première fois au chevet de son mari.
Espiar 3489
Anabël Maurengir avait décidé de quitter sa maison, de s'en aller avec ses enfants et même, de changer de ville. Changer complètement d'air pour que les meubles et l'environnement ne lui rappellent plus son mari. C'était un peu peine perdue puisque même respirer lui rappelait que le souffle d'Alek avait déjà été auprès d'elle. Ses tendres attentions et la main qu'il avait toujours tendance à passer dans ses propres cheveux lui revenaient alors à la mémoire. Puis, comme si c'était un automatisme, dans une logique totale qui n'en avait pas, les larmes se mettaient à couler sur les joues de la femme.
Entre deux sanglots, Anabël expliquait à ses enfants que Lux serait une ville plus propice pour faire leur éducation. Toutefois, les plus vieux savaient très bien la vraie raison de leur venue.
Ravel ne fut pas si déçu de quitter la ville de sa naissance, même si elle lui rappelait un tas de souvenirs et qu'il commençait à se faire proche du vieux sénile, autrement dit, de Simon.
En effet, le marché en matière de vols était encore plus varié qu'il ne l'était auparavant. Le choix était au rendez-vous et il y avait de quoi ne rien manquer même avec un salaire en moins. Leur demeure était encore plus petite, mais Anabël s'assurait que chacune de ses filles lavaient le moindre millimètre carré de la maison lorsqu'elle ne leur donnait pas de cours. Pour les garçons, ils se chargeaient des réparations ou faisaient de petits boulots pour les voisins. Cela leur permettait de rapporter un peu et agrandissait leur perspective d'avenir.
Un beau jour, Ravel fit même l'une des choses les plus fascinantes qu'il n'avait jamais vues. Du bout des doigts, à peine après avoir effleuré la reliure d'un livre, il put se saisir de celui-ci alors qu'une énergie violette et bleue jaillit. Le jeune garçon se mit à le feuilleter, croyant que ce bouquin était magique. Il se mit en secret à tenter de le lire, puis au bout d'un moment fut capable d'identifier certaines lettres, puis certains mots avec l'aide discrète de l'une de ses sœurs.
Après un certain temps, lorsque cela arriva de nouveau avec une montre de poche, le garçon comprit que cela ne dépendait pas l'objet, mais bien de lui. Alors, il tenta d'améliorer ce contrôle et fit quelques recherches pour savoir de quoi il s'agissait. Il apprit vite qu'il était un mage potentiel. Au court des années, il tenta d'améliorer son contrôle et développa d'autres facultés. C'était la dose de bonheur et d'apaisement qu'il avait besoin et qui n'était pas déjà fournis par sa lecture. Dans ce domaine aussi, il se débrouillait de mieux en mieux. Maintenant, il comprenait pleinement pourquoi sa mère avait tant tenue à lui apprendre certaines choses. Sa vue du monde s'aiguisait, mais il avait encore trop d'orgueil pour avouer à sa maman qu'en fait, il apprenait par lui-même à lire.
Il y avait des hauts et des bas, mais la vie continuait.
Eternam 3492
Ravel avait déjà une bonne partie de sa journée de travail de complétée. Les choses allaient bien en général, il avait trouvé les acheteurs qui posaient moins de questions et s'était fait son cercle de connaissances. Venant de la part d'un garçon de 12 ans, tout le monde était surpris et ne le croyait pas avant de le voir agir. C'était souvent en leur rendant leur portefeuille qui était «tombé» que le garçon arrivait à se faire prendre au sérieux.
Il marchait en affichant un air neutre par cet après-midi ensoleillée avec une légère brise venant lui chatouiller les narines.
Même s'il était loin de vivre dans l'une des parties les plus sécuritaires de la ville, Ravel s'y sentait comme un poisson dans l'eau. Lui-même était dangereux -enfin, à sa manière, étant loin d'être un meurtrier bien sûr-.
Après avoir déniché un beau bijou, le garçon se retourna et aperçut les dernières personnes qu'il s'attendait à voir au marché. Sa mère accompagnée de ses quatre sœurs et frères marchaient dans sa direction. Le voleur soupira. Ce n'était pas un endroit très fréquentable et il se demandait bien ce que sa mère faisait ici. Surtout que depuis quelques minutes à l'emplacement où elle se trouvait, les esprits commençaient à s'échauffer, mais ça, bien sûr, elle ne s'en rendait pas compte. Elle ne voyait que son fils, debout comme un piquet à un endroit où il ne devrait pas être seul.
Ravel se mit à marcher vers sa famille un peu malgré lui. Le fait de voler ne jouait pas trop sur sa conscience, mais il n'en était pas fier pour autant. Arrivé à quelques mètres de sa mère, le garçon n'eut pas le temps de dire un mot avant que celle-ci ne se fasse tirer par les cheveux vers l'arrière. Sur-le-coup, Emma, la plus jeune qu'elle avait dans ses bras, eut le réflexe de sauter, mais sans préparer son atterrissage. Le voleur plongea pour rattraper sa petite sœur tandis que les autres enfants s'éloignaient de leur maman.
Ce fut seulement lorsqu'il se releva en déposant sa sœur au sol que le garçon vit pourquoi ils avaient agi ainsi. Un homme qui venait d’être acculé contre un grand et haut kiosque par celui qui lui faisait face tenait toujours sa mère par les cheveux et avait passé une dague sous sa gorge. Avant qu'il ne crit, Ravel crut que l'agresseur l'avait vu le voler un peu plutôt et qu'il voulait se venger. Toutefois, la situation était un peu plus complexe.
-Espèce de salopard! Nous avions convenu d'une entente, tu es prêt à laisser mourir une innocente à cause de tes magouilles!? Il est hors de question que tu salisses ma réputation, sale fou!, s'exclama l'homme qui tenait captive Anabël.
Ravel ne se serait pas gêné pour lui faire part que c'était en fait lui, le fou, s'il n'avait pas menacé de prendre la vie de sa mère. Il ne savait pas comment réagir, se retrouvant figé... impuissant.
L'homme finit tout de même par descendre son arme. Le garçon se détendit et jeta un coup oeil à ses frères et sœurs qui s'étaient regroupés et qui fermaient les yeux en tentant de ne pas pleurer.
Un cri perçant le fit se retourner suivit d'un rugissement :
-Rends-moi ce que tu me dois, sinon, je les tue tous Erick!, cria une nouvelle fois l’homme en direction du contrebandier.
Anabël était à genou au sol à côté de l'homme, poignardée à deux reprises, certainement victime d'un début d'hémorragie interne et externe. Son regard se posa sur son fils alors que l'homme se dirigeait vers lui. Il put lire sur les lèvres de sa mère : «Sauve-toi, sauve-les» avant qu'elle ne s'accroche aux jambes de son assaillant. Celui-ci la repoussa d'un simple coup de pied et ne broncha même pas.
La bande de contrebandier sortit ses armes et les hommes de l’autre groupe firent de même.
Ravel fut pris d'une volonté surhumaine, ce genre de quelque chose qui lui arrive encore parfois, mais qu'il n'a jamais su expliquer. Avant même que l'homme ait eu le temps de l'agripper, il se glissa dans son dos comme s'il avait l'intention de lui piquer quelque chose qui lui appartenait. Il prit ce qu'il y avait de plus gros et de plus accessible : une faux. Dès qu'elle fut sortie de son fourreau, l'arme prit de l'expansion et le garçon l'enfonça dans le dos de l'homme en la laissant là. La réaction fut instantanée et leur laissa le temps de fuir. Il fit signe à l'aînée des filles de s'occuper d'Emma et aux autres de le suivre alors qu'il mettait sa mère sur son dos. Jamais il n'aurait cru qu'une femme aussi délicatement puisse être aussi lourde et perdre autant de sang.
La bataille générale était déjà prise et Ravel devait se concentrer sur sa vitesse autant que sur sa volonté d'éviter les coups.
Pendant de longues minutes, le jeune garçon courut comme il ne l'avait jamais couru. Il courut sans se rendre compte que l'une de ses sœurs manquait à l'appel et que l'autre était gravement blessée. Après avoir parcouru plusieurs rues et s'être caché, Ravel déposa le corps mort de sa mère et s'assit, les vêtements souillés par le sang. Il était absent. C'était comme s'il avait perdu contact avec la réalité. Il ne sentait plus rien, même pas le coup de couteau qu'il avait reçu au niveau de l'omoplate.
Il se mit près du corps allongé de sa mère, puis il sentit cette énergie s'activer peu à peu. Sans attendre, il posa ses mains sur le corps de sa mère et entama le processus de guérison. Mais les morts ne guérissent pas, même pas ceux qui font acte de courage avant leur décès.
Lorsque le jeune garçon reprit conscience avec la réalité, une grande faiblesse le prit et un sentiment de culpabilité s'abattit sur lui en s'apercevant que l'avant dernière de la famille n'était plus là. Son jeune frère se portait bien physiquement tout comme Emma, mais l'état d'Alice, celle qui avait été en charge de la petite n'était pas à son meilleur. Voulant protéger sa petite sœur, elle avait pris un coup de lame à sa place.
L'aîné de la famille tenta de s'occuper du mieux qu'il put de sa sœur, mais sa fièvre monta et il devait aussi assurer la survie des deux autres. Au bout d'une semaine, Alice mourra même après toutes les tentatives de Ravel. Il utilisa de nouveau l'énergie apaisante qu'il était capable de faire émaner de lui. Toutefois, trop de temps s'était écoulé avant qu'il n'ait eu à nouveau la capacité de faire quelque chose pour cette blessure malheureusement aussi profonde.
Ravel décida d'enterrer les deux corps avec respect et changea carrément de quartier avec les deux survivants. Ce n'était pas le temps de laisser place au drame. Son petit frère n'arrivait pas à demeurer impartial, mais au moins, Emma était encore un peu trop jeune pour comprendre et il lui était encore possible de lui dire qu'Alice, Hella et maman faisait un long voyage, presque éternel.
Le garçon étudia les lieux. Il identifia au départ trois familles, puis se mit à espionner d'avantage l'une d'entre elles après ses heures de travail. La femme pleurait souvent parce qu'elle était incapable d'avoir un enfant et l'homme tentait par tous les moyens de la rendre heureuse.
Le garçon n'était pas ravi quant au fait de laisser sa sœur là, même s'il avait espionné la petite famille et ce, pendant des mois. Cependant, il savait que sa vie serait plus facile ainsi. Alors, un soir, tandis qu'elle dormait à poing fermé dans leur abri improvisé de nomades, il la prit dans ses bras et l'amena jusqu'à la demeure en question. Il prit le moyen simple et cliché. Après avoir sonné et déposé sa petite sœur, il se cacha. L’intendant étant à la cuisine, la femme alla elle-même répondre à la porte pour y trouver la petite fille. Elle regarda longuement dehors, pleurant doucement. Un ange était à sa porte. Son mari vint la voir en espérant bien savoir ce qui la retenait là immobile et muette. Lorsqu'il aperçut la petite, il serra sa femme dans ses bras et prit l'enfant.
Ravel se retourna, décidant de ne plus jamais revoir sa sœur.
À son réveil, son frère lui posa plein de questions, mais à l'air qu'avait le voleur, il ne finit même pas son petit déjeuner, ne posa plus de questions et se mit à faire ses bagages.
C'était un nouveau style de vie qui les attendait. Ravel pensait son frère assez fort pour survivre à tout ça. Il le croyait assez fort lui et lui seul pour le voir dans cet état, démoli et impuissant. Le soir avant de se coucher, Ravel brisait toutes les barrières qu'il s'était créé et pleurait silencieusement, parfois pendant des heures. Sa mère et ses sœurs venaient le réconforter en rêve, mais cela n'était pas assez. Il se promit cependant d'être plus fort que sa mère et de ne pas que faire acte de courage un peu avant son dernier souffle.
Cosmia 3494
Il y avait de cela quelques jours que son frère se portait mal. Ravel commença à s'inquiéter lorsqu'il eut les mêmes symptômes que son père.
Pourtant cela était impossible, même insensé. Comment la maladie pouvait-elle évoluer aussi fortement en si peu de temps? Son jeune frère était loin d'avoir l'âge de son père et pourtant, ses symptômes quoi qu'un peu différents allaient à une allure exponentielle.
Le jeune garçon se rendit compte que même si ce qui s'appelait la Sannaeth avait un effet sur les blessures et la douleur physique, elle n'aidait presque en rien aux moments où son frère était absent.
En quelques semaines, celui-ci décéda même si encore une fois, Ravel avait tout fait pour sauver celui qui lui était cher.
C'est ce qui fut le déclencheur d'une rage terrible chez l'aîné. Il se mit à maudire tous ceux qui étaient «Bien nantis» et qui ne se préoccupaient que d'eux-mêmes. Il se mit même à haïr la vie à un point où il n'est pas possible d'haïr plus que cela.
Lorsqu'il ne volait pas pour se nourrir et qu'il n'aidait pas les autres, il s'entraînait avec la faux qu'il s'était achetée. Il lisait des livres de stratégies de combats et parlant de la Sannaeth pour apprendre à mieux la maîtriser et tenter de rendre son éventail de techniques un peu plus polyvalent. Il s'était promis une chose, une unique : de ne plus jamais se sentir aussi impuissant face à une situation comme celle-là. C'est d'ailleurs pourquoi il se mit à se préparer du mieux qu'il pouvait par ses propres moyens. Il était hors de question qu'il laisse faire à nouveau tout ce qui s'était passé dans sa vie. Il veillerait sur les autres et sur ce qu'il lui restait. Il n'était d'ailleurs pas rare de le voir distribuer ce qu'il avait «en trop» aux autres enfants.
3495 Briniokhum
Ravel allait avoir 15 ans d'ici peu. Il avait beaucoup évolué dans la dernière année. Lorsqu'il était petit, les gens ne se méfiaient pas du tout de lui, mais plus il grandissait et plus les personnes qu'il volait étaient soucieuses de ce qu'il leur voulait lorsqu'il les approchait. Il devait se faire de plus en plus subtil et utiliser son imagination pour réussir à leur piquer ce qu'il désirait.
Il avait fait un bond vers l'avant. Toutefois, la rencontre qu'il allait faire lui permettrait de goûter au pouvoir de l'unité. Il allait enfin savoir ce qu'une équipe était capable de faire. Ravel allait voir de ses propres yeux ses capacités déjà grandissantes s'améliorer encore plus et être plus utiles que jamais dans une bande. Si on lui avait dit, cette journée-là, avant qu'il ne rencontre Belgarath Eridan que celui-ci allait changer sa destinée, le minuscule grain de sable de l'univers qu'il était n'aurait jamais cru qu'il aurait pu se joindre à une tornade.
Même s'il prit goût à la coopération et l'entre-aide, le jeune homme demeura toujours assez centré sur sa propre survie. Enfin... ça, c'était jusqu'à la guerre contre les démons, mais chaque chose en son temps.
Rien n'était différent qu'à l'habitude. C'était un matin chaud et humide. Ravel avait choisi une cible. Un grand homme de forte carrure aux cheveux bruns marchait dans le marché. Le jeune homme ne l'avait jamais vu et s'en fichait un peu à vrai dire. Il s'approcha doucement et subtilement en regardant ce que les marchands avaient à lui vendre. Puis, dans un pas agile, il utilisa cette capacité qu'il développait depuis qu'il était jeune pour détacher le sac d'ioks d'or de la ceinture de l'homme et ensuite mettre la main dessus.
Il avait encore réussit et eut un léger, mais tout léger sourire en mettant la main sur la tonne d'ioks. Les enfants qu'il avait l'habitude d'aider seraient fous de joie. Bien plus loin, sur le côté, il fit mine de regarder l'état d'une pomme, puis la fit disparaître sans que personne ne s'en rendre compte, même pas le vendeur qui lui souriait.
Un rire s'éleva derrière lui. Alors, il fit un demi-tour sur lui-même pour tomber face à face avec l'homme qu'il avait volé quelques minutes plus tôt. Son premier réflexe fut de rester calme quelques instants avant d'essayer de se mettre à courir. Cependant, il était trop tard, l'homme lui avait déjà agrippé le bras. Lorsqu'il eut fini de rire, il dit :
-Tu es bien talentueux! Ça me plait de voir que tu te débrouilles aussi bien. Toutefois, j'aimerais que tu me rendes ce qui m'appartient. Tiens, en échange, je te paye un verre de lait de chèvre. Allez, viens, ne reste pas là à me regarder avec cet air, quelqu'un pourrait se douter que tu as quelque chose à te reprocher.Le jeune homme le suivit un peu malgré lui. Une fois assis et servis, l'homme qu'il venait de rencontrer se mit à lui raconter un peu ce qu'il faisait. Il fit mention des Légions Phénix et offrit même sa chance à Ravel.
Cette rencontre poussée par le hasard eut de grandes répercussions non seulement sur la vie du voleur, mais aussi sur son tempérament. Bien sûr, il demeura un peu réservé, mais appris à être de nouveau à l'écoute des autres. De plus, il apprit à calmer et à anéantir la rage intérieure qu'il avait. Il vieillit encore un peu plus jusqu'à apprendre à se servir de ses émotions que lorsque cela était bien nécessaire. Son esprit devint plus pragmatique et posé. Il tentait de trouver la sérénité qu'il n'avait jamais eue au sein des Légions, une nouvelle famille. Vous pouvez donc en déduire qu'il accepta l'offre de Belgarath. Cela lui demanda une grande réflexion. Il y avait fort longtemps que personne n'avait réussi à le prendre la main dans le sac, mais cet homme, lui, avait fait plus que ça et lui inspirait confiance. C'est pourquoi il accepta en se disant que la seule à l'avoir en fait réellement trahi était la vie.
Ravel se retrouva avec des responsabilités autres que celles qu'il avait normalement. Il vit que le leadership n'était pas ce qui était le plus familier chez lui. Malgré cela, il arriva à trouver sa place et à faire valoir ce qui était juste selon-lui. Les gens étaient attentifs aux peu de mots qu'il prononçait. Après un certain temps, il était devenu un bon négociateur et s'était attaché au monde des affaires.
Le jeune homme se mit même à tenir un journal. Dans celui-ci, il notait autant ce qui était personnel que ce qui était professionnel. Personne d'autre que lui n'y avait accès de toute façon. Pour s'en assurer, il développa une technique de scellage grâce à la Sannaeth afin que les curieux ne tentent pas de se servir de son carnet comme lecture légère.
Eternam 3495
Le petit garçon de sept ans courait vers le jeune homme qui lui faisait dos. Il hurla son nom avant de lui faire savoir à quel point il était content qu'il ait tenu sa promesse.
En effet, quelques mois plus tôt, lors de son premier voyage à Marksten, Ravel avait promis à Hulin qu'il allait revenir. Cela lui faisait drôle de voir un petit bonhomme aussi attaché à lui. Cela lui rappelait même son jeune frère. Ravel lui sourit en tournoyant sur lui-même pour faire rire l'enfant.
Ravel resta quelques temps et put tisser plus amples liens avec l'enfant. À son retour, il eut l'une des plus grandes mauvaises nouvelles de sa vie. Belgarath, son propre mentor, s'était fait jugé, puis exécuté. L'avenir des Légions fut flou, puis vint à leur tête Thot et Cyradis. Deux personnes qui étaient peu connues de Ravel. Cependant, il était prêt à les suivre jusqu'au bout de la terre si plus tôt Belgarath leur avait fait confiance. Un grand respect pour eux se développa chez-lui. Le coup avait été dur pour tout le monde. Cela lui prouva une fois de plus qu'il attirait la mort, mais que comme Simon, celle-ci ne le touchait jamais directement. Cela le poussa à agir encore plus dans les légions. Si Belgarath n'avait pas réussi à pousser à bout son projet et à faire valoir ses idéaux, lui le ferait avec l'aide des autres.
Les cinq années qui suivirent passèrent très rapidement. Tout se déroula assez bien. Le deuil laissait peu à peu place à la détermination.
Maliajna 3500
Ravel n’avait jamais cru que les capacités qu’il avait développées en matière de contrôle de la Sannaeth et de sa faux pourraient lui être autant utiles. Les Légions n’étaient pas une organisation violente, loin de là. Pourtant, il était sur un champ de bataille en train de développer une stratégie pour survivre. Une tactique assez efficace pour permettre à lui et à ses collègues de s’en sortir. Il ne se serait jamais cru autant capable de cogiter pour créer de nouveaux enchaînements et de nouvelles techniques. Sa cape et lui ne faisait plus qu’un et heureusement, car sans elle, il lui aurait été difficile d’être encore vivant.
La hargne qu’il avait emmagasinée en lui avant sa rencontre avec Belgarath faisait de nouveau surface sur le champ de bataille. Sa violence semblait contrôlée, mais il savait très bien que parfois, elle ne l’était pas et ce, surtout lorsque de pauvres innocents succombaient à leurs blessures ou qu’un démon tuait sans scrupule une jeune femme ou un enfant. En fait, c’était lorsque la vie laissait toute injustice se faire. Il priait Cosmo lorsque cela lui était possible pour qu’il lui permette de guérir le plus de condamnés possible. Jamais les mois ne lui avaient semblé si longs et pénibles. Ce qui fut environ un an le fit vieillir d’au moins cinq, si ce n’était pas dix. Il se demandait si après la guerre, sa vie aurait encore un sens, s’il allait encore avoir un chemin tracé parmi tous les débris et les cadavres putréfiés de ses pairs. Et si plus rien n’avait eu de sens? Le soir, il ne tentait même plus de dormir entre deux cris de guerre, il ne faisait que regarder les ruines de ce qu’il avait connu.
Alors qu’il croyait que le cauchemar allait se finir sous peu, en quelques mots, une ville, une population complète disparut de la surface du monde. Elle resterait toujours à sa mémoire, mais physiquement, il n’y avait plus rien. Même pas le petit garçon que Ravel avait rencontré sept ans plus tôt. Marksten avait été détruite avec une partie de ses habitants, y compris Hulin Kuran, âgé d’à peine 12 ans. La dernière fois qu’il avait pu voir le jeune garçon, ce devait être deux années auparavant.
Cette nouvelle et tout l’événement eurent comme effet d’affecter grandement le jeune homme qu’il était devenu. Ravel se remit sérieusement en question. À la suite du conflit, tout lui sembla perdu et ce, même s’ils avaient gagné la bataille. Plusieurs connaissances, collègues et amis contre deux nouvelles cicatrices, voilà l’échange qui avait eu lieu.
Ravel avait besoin de retrouver un rythme de vie et ses souvenirs l’en empêchaient. Même s’il tentait de purifier son esprit et d’amoindrir sa rage en priant les Dieux, cela n’avait pas l’effet escompté.
C’est donc en continuant de s’entraîner et en décidant de partir de sa terre natale que le jeune homme tenta de reprendre sur lui-même. Sa première destination fut l’ancien village d’Hulin, où, comme seul souvenir, il prit une pierre et décida de s’en faire son pendentif. Son âme continua de vagabonder jusqu’au jour où vint à ses oreilles un mot. Un mot précis, un nom qu’il n’oublierait jamais : «Belgarath». Selon un troubadour, celui-ci était de retour. Le jeune homme trouva drôle l’auditoire d’être aussi naïf. Toutefois, il devait avouer que cela attisait aussi sa curiosité.
C’est pourquoi, suite à cette nouvelle, il décida de mettre fin à son exile et de rentrer au pays. Lorsqu’il vit Belgarath se tenir droit devant lui, Ravel n’en crut pas ses yeux. Au moment même où, malgré toutes ses démarches pour trouver sa voie, il allait abandonner, la vie lui envoyait un nouveau message. Son mentor était de retour.
L’homme à en devenir qu’il était se trouva premièrement idiot. Si idiot de ne pas avoir maintenu dans son esprit le message que voulait transmettre aux autres Belgarath, si idiot de ne plus avoir cru en ses propres idéaux. Cependant, ce voyage en terre moins connue lui avait fait du bien et lui avait permis d’élargir ses horizons. Il était maintenant prêt à agir de plus belle. Son morale n’était pas à son meilleur, mais il avait de nouveau espoir. Il était mal placé pour se plaindre, d’autres étaient dans un plus piètre état que lui.
Il décida d’aider à la reconstruction de la cité. Cependant, voler n’était plus un simple moyen de survivre, c’était devenu un art pour lui et c’était beaucoup plus utile pour subvenir à ses besoins que de faire du bénévolat.
Nektanan 3502
Le soir était une autre fois arrivé. La température avait chuté peu à peu en court de soirée. Les jours se suivaient successivement… comme si l’un était l’autre et que l’autre était celui qui arrivait.
Le retour à l’entraînement n’était pas des plus faciles. Ravel n’avait pas perdu la main, mais son corps n’était plus aussi habitué qu’il ne l’était jadis. Jadis… il y avait de cela environ un an. Peut-être n’était-ce que lui qui s’écoutait plus qu’auparavant ou encore ses entraînements qui étaient plus demandant que ceux qu’il faisait avant la guerre, mais moins qu’elle-même.
Le jeune homme désinfectait ses plaies avant de leur fournir un bandage plus adéquat. Sa blessure au niveau de l’abdomen n’était pas encore en parfaite état et laisserait sa marque. Sur le champ de bataille, Ravel avait eu à peine le temps de faire s’arrêter l’hémorragie interne. En le voyant dans cet état, un collègue qui avait péri par la suite avait pris sa place en s’occupant de deux adversaires au lieu d’un. Le guérisseur avait donc pu se retirer bien loin en espérant que personne ne vienne l’achever. Encore une fois, la vie avait voulu le voir souffrir, mais ne pas mourir. Pourtant, depuis les premiers mois de ce conflit, Ravel se considérait comme mort. Il ne vivait plus que pour ça, soit perdre la sienne ou prendre celle de d’autres. Une violence terrible s’était prise de lui en un rien de temps, lui rappelant les moments difficiles de son enfance.
Il eut un spasme à ce souvenir. Ses poings se crispèrent, puis il lâcha soudainement tout ce qu’il tenait. Il passa sa main gauche dans ses cheveux comme il avait l’habitude de faire lorsque des souvenirs lui revenaient à la mémoire ou encore, dans des cas plus rares, lorsqu’il commençait à perdre patience. Après tout, il fallait être le plus patient possible puisqu’on passait notre vie à attendre tout. La joie, la bonté, l’égalité, la justice, la mort… elle ne donnait rien sans qu’on l’ait gagné dix… 15… 20 fois même.
Vous aurez remarqué le penchant un peu défaitiste que celui-ci avait pris après le conflit. Ce serait vous mentir de vous dire que ce n’était qu’une illusion. Toutefois, encore ce soir-là, il avait espoir. Espoir en un monde meilleur où tout le monde y trouverait sa juste place. Et même s’il était un mercenaire doublé d’un guérisseur, son vrai travail était de vendre, de vendre… de la justice –Ceci n’est pas une référence à un très bon roman qui est aussi une adaptation cinématographique plutôt merdique-. C’était peut-être un peu contradictoire, mais le cœur à une raison que la raison ne connaît pas… et puisque les sentiments viennent du cœur.
Ravel finit de bander ses blessures en se mordant la lèvre et en plissant des yeux face à la douleur. Ce qu’il voyait dans la glace en était le reflet presque parfait. Il y avait de ces journées où même si vous n’étiez déjà pas très haut dans votre joie et votre exaltation, tout vous tombait dessus. C’était cette journée-là qu’avait vécu Ravel, remplie de maladresses et de malchances. Il tenta un léger sourire et se mit à se raser. Bien sûr, pour couronner le bal, il se coupa non pas une, mais deux fois avant d’abandonner l’expérience.
Après avoir renversé un verre d’eau sur la lettre qu’il s’était mis à écrire, le jeune homme décida de mettre fin à cette journée. Elle avait été comme les autres, douloureuse, mais optimiste à la fois, en un peu plus problématique qu’à l’habitude.
Durant les trois années qui suivirent, peu à peu, le sable se fit une place auprès de l’eau claire et douce. Il frôlait la surface de celle-ci de temps en temps, puis voguait lui-même jusque dans les bas-fonds. C’était ça l’égalité : la liberté de choisir où l’on voulait naviguer. Toutefois, cela n’était pas qu’un choix ou seulement quelque chose qu’on voulait. Pour tout accomplissement, il y a des efforts à faire. Le sable, étant bien plus lourd, devait en faire plus, mais rien n’était impossible, rien.
La science n’est donc pas tout à fait exacte… et elle demande des sacrifices.